Hommage de François Bayrou à Jean-Jacques Bélézy

Jean-Jacques, mon cher Jean-Jacques.

Nous sommes tous ici, autour de toi, dans ta ville, nous qui t’aimons autour de ceux qui t’aiment, tes parents, ta sœur, tes filles, Victoire et Marie, autour de Nadine, autour de toutes celles et tous ceux qui se sont reconnus en toi, qui ont partagé ta vie, qui t’ont estimé et se sont battus avec toi, dans la vie politique comme dans la vie professionnelle.

C’est ta ville. Un jeune Limougeaud, né derrière les halles centrales, d’une famille de commerçants de Limoges, restaurateurs pour tes grands-parents, bar et tabac pour tes parents. Un jeune Limougeaud qui se passionne pour sa ville. Ton diplôme de fin d’études d’architecte, c’est Limoges qui en est le sujet : « Limoges, urbanisme en centre-ville ».

Architecte, on croit que c’est la passion des bâtiments : on se trompe, architecte, c’est la passion des hommes qui vont vivre et se rencontrer, travailler, élever leur enfants, parfois être saisis du sentiment du beau, du grand et du durable, au contact des bâtiments qu’on aura construits avec eux et pour eux. J’ai retrouvé l’un des messages que tu m’adressais en 2010. Tu me disais : « je partage ton analyse sur les mauvais choix du financement du logement social, aide à la pierre plutôt qu’aide à la personne, qui nous a conduits à la marginalisation des banlieues. Tu sais que je considère que là est le nœud du tissage de notre société. Ou plutôt que là est l’explication de sa déchirure. »

Architecte pour les hommes, les femmes, les familles, les enfants, les générations à venir. C’est toi Jean-Jacques qui, le premier, il y a longtemps, bien avant que cette préoccupation ne se répande, m’a fait découvrir les enjeux de l’habitat durable, des maisons qu’on appelle passives, celles qui arrivent, ou arriveront à produire plus d’énergie qu’elles n’en consomment. Et tu parlais du soleil comme un ami des hommes et je n’ai rien oublié.

Quand on veut construire des maisons pour la vie des gens, on veut aussi, naturellement, construire des cités pour qu’ils y trouvent leur place et leur équilibre.

Nous nous somme rencontrés, tu avais vingt ans. Un garçon généreux, attentif, qui n’avait pas peur, qui ne calculait pas où pourrait être son intérêt, mais où étaient ses convictions, où était sa passion, où serait son chemin.

Nous nous sommes rencontrés et nous ne nous sommes plus quittés. Tous ces jours-ci, avec ceux qui t’aiment, depuis dimanche, nous avons sans cesse parlé de toi. Avec Jean-Claude Deschamps qui était si bouleversé et qui était désespéré d’être coincé en Islande, avec tes amis de la Haute-Vienne, avec le docteur Philippe Trampont et Brigitte, avec Vincent Jalby, avec Christophe Le Chevallier, lui aussi à l’hôpital pour un accident, nous avons parlé de toi. Et tous ils disaient ce qu’était le ciment d’amitié, de respect, qui les unissait à toi, et combien d’amis les appelaient qui avaient un jour croisé ta route.

La politique, on croit qu’il s’agit de rivalités, et de clans. On se trompe. Je le dis en ton nom, puisque toute ta vie, tous nos combats en témoignent : la politique quand on l’assume au niveau où tu l’as assumée, c’est aussi et c’est d’abord une famille. Une manière de se rassembler pour changer le monde. Pas louvoyer, pas zigzaguer, aller droit, lever la tête, aimer les gens et les respecter.

Et c’est ainsi que tu étais, c’est ainsi que tu es. Si tu avais eu un nom de compagnon, on aurait dit Limougeaud cœur fidèle.

Et cœur, ici, prend tout son sens : cœur pour amour, cœur pour courage.

Tu es devant nos yeux ce matin, toi le courageux, et l’église s’appelle Saint-Michel les lions ! Nous te voyons tous, comme tu es, réservé, pudique, parlant peu de toi, parlant des autres, parlant de tes idées, courageux et fidèle, sans jamais biaiser, sans jamais trahir. À la nouvelle de ton départ, dimanche, la journaliste qui me demandait un mot sur toi m’a dit : « mais vous ne croyez pas qu’il aurait été plus facile pour lui de faire carrière, en Limousin, en se ralliant à un autre parti ? » C’était une question ingénue, à laquelle j’ai répondu comme il aurait répondu : « plus facile peut-être, mais cela n’aurait pas été lui ! Et s’il avait renoncé à être lui-même, tout aurait été perdu et corrompu de ce qu’il avait, de ce qu’il était de plus précieux. » Et dans cette église, j’aurai répondu comme l’écriture : « et si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ? »

Conseiller municipal de Limoges dès 1983, tu n’as pas encore vingt-cinq ans, conseiller régional du Limousin, figure dans cette ville, dans cette région et au niveau national de la famille politique du centre, humaniste et démocrate, ce qui est la manière la plus exigeante de vivre la République.

Et courageux, tu l’as été, tranquillement courageux, j’allais dire tranquillement héroïque, quand dans ces mois d’automne, dans la force de ton âge, la maladie t’a frappé. Tes amis le savent, les médecins aussi, toute l’équipe médicale. Il n’y eut jamais de ta part, une plainte, une peur, jamais autre chose qu’un sourire devant le mal le plus implacable.

Je sais bien que rien n’est plus dur pour ceux qui t’aiment, et j’emploie le présent, pas le passé, pour Victoire et pour Marie, que ce déchirement en pleine jeunesse pour toi, jeunesse et enfance pour elles. Je veux seulement leur dire ceci : quand un homme, quand un papa, a tant de courage, tant de fidélité, et tout cela n’est pas autre chose que d’autres noms pour l’amour, alors il ne cesse pas de vous parler et d’être avec vous, de vous construire, comme il construisait des maisons, comme il construisait des équipes. Sa lumière ne cesse pas de briller pour vous, et un peu pour nous. Nous disons ce que tu aurais dit : « merci Jean-Jacques, nous continuons ensemble. »